Moi les hommes, je les déteste – Pauline Harmange : un ouvrage féministe plus nuancé qu’il n’y parait


            Je suis actuellement engagée dans une réflexion globale sur le célibat, l’amour et les relations hommes / femmes dans une perspective féministe. A ce titre, j’ai trouvé particulièrement intéressant de me replonger dans la lecture de ce premier essai féministe de Pauline Harmange dont le titre provocateur a fait couler beaucoup d’encre.

Même si je me revendique féministe, j’ai toujours été mal à l’aise avec le concept de misandrie que je trouve anti pédagogique. Pauline Harmange vient donc a priori bousculer mes pensées sur la question.

            Je m’attacherai ici à retracer la réflexion de l’autrice et les articulations de l’ouvrage, pour mieux saisir sa pensée et voir comment elle résonne avec moi. C’est donc un article très long qui s’annonce malgré la brièveté de l’ouvrage. Si vous souhaitez simplement lire ce que j’en ai pensé dans les grandes lignes, faites un saut directement à la conclusion.

Converture du livre Moi les hommes, je les déteste
Fond violet, lettres jaunes

Avant-propos

Pauline Harmange attaque d’entrée par les accusations de misandrie qui ne manquent pas de pleuvoir sur toute femme manifestant un tant soit peu de velléités féministes. Elle les dénonce pour ce qu’elles sont : des tentatives de discréditer les femmes qui cherchent à dénoncer les oppressions qu’elles subissent.

Pour elle, la revendication de la misandrie est en réalité un programme émancipateur dans lequel détester les hommes n’est pas une fin en soi mais un catalyseur pour envisager le monde autrement, libéré d’une tutelle patriarcale réductrice et violente.

Je vois dans la misandrie une porte de sortie. (…) On pourrait je crois, libérer un pouvoir insoupçonné : celui, en planant très loin au -dessus du regard des hommes et des exigences masculines, de nous révéler à nous-mêmes.

Misandrie, nom féminin

Entrant finalement dans le vif du sujet, Pauline Harmange définit enfin le concept de misandrie tel qu’elle l’utilisera tout au long de l’ouvrage.

Dans cette partie la posture initiale très provocatrice de « détestation » apparaît ici quelque peu adoucie. L’autrice ne développe pas un discours de haine et évoque plutôt un « principe de précaution », invitant les hommes non pas à déserter les mouvements féministes mais à y trouver une juste place. Elle leur reconnaît un véritable pouvoir social et à ce titre rappelle que ce pouvoir appelle à de grandes responsabilités, notamment du point de vue de l’éducation entre pairs.

Pauline Harmange rappelle le caractère systémique du sexisme et de la misogynie. Elle postule finalement que la misandrie est souvent la conclusion de la réflexion de toute femme se construisant une réflexion politique quant aux inégalités liées aux genres.

Maquée avec un mec

Pauline Harmange parle avec simplicité et humilité de son parcours personnel, celui d’une femme qui a rencontré très jeune un homme qu’elle a fini par épouser. Elle met en évidence la difficulté à construire une relation de couple avec un homme lorsqu’on est une féministe consciente des rapports inégaux qui structurent une société dominée par le patriarcat.

Elle décrit la façon dont les femmes se construisent sur le regard des hommes et dont les hommes se construisent sur une obligation de performance, évoquant sans détour le travail de déconstruction de la féminité et de la virilité qui a été nécessaire pour que leur couple fonctionne. Cette déconstruction demande des efforts et la charge émotionnelle et organisationnelle de ce travail repose plutôt sur les femmes, même lorsque les hommes sont ouverts au féminisme.

Je constate que, derrière chaque homme un peu conscient de son privilège masculin il y a plusieurs femmes qui ont beaucoup travaillé pour l’aider à ouvrir les yeux – et ça, ils ne sont pas nombreux à le reconnaître.

Misandres hystériques et mal baisées

            Ce chapitre semble s’adresser directement à moi, la féministe mal à l’aise à l’idée d’évoquer la méfiance que les hommes peuvent susciter.

Pauline Harmange passe en revue les différents arguments qui s’opposent à se réclamer d’une forme de misandrie et y apporte ses réponses. En premier lieu vient la contre productivité supposée du procédé. En second lieu elle évoque avec pertinence la socialisation féminine en lien avec la gestion du conflit et de la colère.

A ces questionnements, Harmange oppose l’idée que les mouvements féministes gagneraient à se soustraire à la validation masculine et rappelle que parmi les hommes, nos véritables alliés sont ceux qui acceptent de se remettre en question. Enfin, elle développe l’idée que colère n’est pas violence.

Pauline Harmange nous invite à renoncer à afficher la misandrie comme une forme d’humour ironique, à nous éloigner du rôle empreint de douceur et de docilité auquel nous sommes éduquées pour nous montrer plus exigeantes vis-à-vis des hommes et attendre d’eux le meilleur.

Les hommes qui n’aiment pas les femmes

            L’autrice nous rappelle ici avec quelle rapidité certains propos peuvent ranger une femme directement dans la catégorie misandre et s’attache à démonter le principe d’une symétrie entre misogynie et misandrie.

            Pauline Harmange soutient ses affirmations par des faits et retrace les multiples formes de violences petites ou grandes que les femmes subissent quotidiennement. Elle rappelle également que les viols concernent très souvent les personnes mineures, hommes et femmes, et mentionne la difficulté particulière que les hommes rencontrent face à ces violences. La litanie est longue et finalement on en vient à la même conclusion qu’elle : il y aurait beaucoup de raisons de détester les hommes et, si la misandrie existe, elle ne se traduit pas concrètement dans notre quotidien.

Notre misandrie fait peur aux hommes, parce qu’elle est le signe qu’ils vont devoir commencer à mériter notre attention. Qu’être en relation avec des hommes n’a rien d’un dû, d’un devoir de notre part, mais que, comme toute relation équitable, elle nécessite que toutes les parties engagées fassent un effort pour traiter l’autre avec respect.

Que rugisse la colère des femmes

            Pauline Harmange revient sur la notion de colère et sur la façon dont les femmes et les hommes sont encouragés ou non par la société à vivre cette émotion. Elle dénonce la toxicité des deux modèles réactionnels imposés, qu’il s’agisse de la violence masculine ou de la passivité féminine. L’autrice nous raconte comment le féminisme lui a permis de renouer avec la colère, de redécouvrir cette émotion et comment cela lui a été aussitôt reproché. Elle s’attaque à une posture très dommageable : les hommes seraient du côté de la raison et les femmes de l’émotion, ce qui placerait automatiquement ces messieurs en position de dominants. Pauline Harmange conclut sur le besoin de réhabiliter la colère féminine :

Ce sont nos colères qui tiennent les hommes pour responsables de leurs actes et qui donnent de l’élan à toutes nos révolutions.

Médiocre comme un homme

            Après le temps de l’injustice et de la colère vient logiquement celui du questionnement. Que faire de tous ces constats et ces sentiments ?

Harmange appelle ici à remettre en perspective le poids du regard supposé des hommes sur le quotidien des femmes et les attitudes autorégulatrices que ces dernières mettent en place pour y faire face.

Ils ne sont peut-être pas tous malveillants, mais il est difficile de lutter contre l’idée très tôt imprimée dans nos esprits que l’avis des hommes, parfois d’un simple passant dans la rue, a plus d’importance que le nôtre.

Elle relie le titre de son chapitre aux propos de Sarah Hagi concernant le syndrome de l’imposteur et cite une étude de LinkedIn réalisée en 2019 qui démontrerait qu’à compétences égales les femmes auraient tendance à moins postuler aux offres d’emploi que leurs homologues masculins.

Florence Sabatier – Atelier Mouette

Il s’agit donc ici de restaurer la confiance des femmes en leurs compétences et de les inviter à investir la vie avec moins de pression au care[1].

Le piège de l’hétérosexualité

            Voilà un titre bien provocateur et dès les premiers paragraphes Harmange aligne beaucoup d’informations pour évoquer la mise en place de l’imaginaire chez les enfants et de ce que cela permet (ou pas) en termes de projection[2]. Elle évoque également une nécessité à faire couple liée aux clichés péjoratifs associées aux femmes célibataires. Elle oppose à ces clichés une étude qui établit que les femmes célibataires et sans enfants tendraient à être plus heureuses et à vivre plus longtemps que les autres. Pauline Harmange plaide pour une autonomie et une liberté des femmes qui les autoriseraient à nouer en conscience un partenariat amoureux épanouissant :

Et parce qu’il n’est pas non plus question de dire que toute relation de couple hétérosexuel est vouée à être une nuisance […], on peut espérer qu’en étant en phase avec nos attentes, on aura plus de chances de rencontrer des partenaires qui nous méritent, pour qui la relation amoureuse est fondée […] sur le respect, l’écoute et le soutien mutuels.

Sœurs

            Harmange débute ce chapitre sur un souvenir d’enfance, une stratégie assez courante chez les adolescentes qui ne se conforment pas aux attentes socialement attendues chez les filles : obtenir l’approbation masculine en valorisant le fait « de n’être pas une fille comme les autres ».

Aujourd’hui elle fait le choix de prendre le contrepied de cette attitude et de valoriser ses amitiés féminines. Ce qui apparaît ici c’est l’importance de créer des espaces de sororité solides et sécurisants dès lors qu’on s’affranchit du regard masculin pour le remettre à une place plus circonscrite et moins prépondérante.

Dans ma créativité, dans mon militantisme, dans mes réflexions sur moi-même et sur la société, tant de domaines où, je l’ai enfin compris, je n’ai pas besoin des hommes pour me construire.

Eloge des réunions Tupperware, des soirées pyjama et de nos girls’clubs

Pauline Harmange fait un point sur les espaces féminins tantôt considérés comme « futiles et ridicules », tantôt perçus comme « excluants et menaçants ». Ces espaces non mixtes féminins sont souvent évoqués de manière à faire polémique par les médias, pourtant l’autrice nous rappelle que les milieux exclusivement masculins ne font pas l’objet d’un même traitement médiatique alors même que la culture viriliste qui y est parfois développée est nocive pour la société. Harmange explique cette différence de traitement par une volonté de juguler et réguler les mouvements d’organisation féminins portés par et pour les femmes.

En effet, Pauline Harmange développe l’idée que, bien loin d’être aussi superficielles qu’on ne le pense, les soirées et rencontres entre femmes sont l’occasion de cultiver sororité et solidarité.

Il y a, surtout, le refus d’être divisées, dans un monde qui voudrait que les femmes n’existent qu’en opposition les unes aux autres.

Et finalement arrive une conclusion, limpide et logique à l’aune de tout ce que l’autrice a développé tout au long de son essai : la clé de la libération des femmes, c’est avant tout l’amour qu’elles se portent.

En bref

            A la première lecture j’ai eu un peu de mal à voir le fil conducteur de l’ouvrage et il me semble que la forme pourrait être plus efficace, mais je ressors de cette lecture bien plus à l’aise avec la pensée de l’autrice.

Si le titre a pu paraître rebutant à certaines personnes au premier abord, il n’en reste pas moins que Moi les hommes, je les déteste est un essai plus nuancé qu’il n’y paraît. Le propos est en effet moins radical qu’il n’en a l’air et plaide surtout pour la thèse énoncée par l’autrice dans son avant-propos : la nécessité de s’affranchir du masculin et construire des espaces alternatifs sororaux pour se libérer.

Pauline Harmange propose un ouvrage assez personnel et y balaye beaucoup de notions complexes qu’elle vulgarise en quelques phrases. Ce n’est pas forcément un livre très pointu et à ce titre il pourrait faire une bonne introduction aux pensées féministes, où en tout cas susciter des interrogations et des remises en question.

A la sortie de cette lecture, je ne sais pas si je peux me déclarer « misandre », mais je partage le sentiment de l’autrice sur la nécessité de créer des chemins de traverses qui nous appartiennent pour créer une société plus juste où chaque personne pourrait trouver sa place et s’épanouir.

Informations complémentaires

Pauline Harmange tient également un blog, Un Invincible Eté, où elle partage ses réflexions et ses écrits depuis de nombreuses années. Elle fait le point sur son essai dans un article et apporte quelques éclairages complémentaires à la lecture. Depuis elle a également écrit un deuxième essai sur l’avortement. Elle a également œuvré pour la construction de ces fameux espaces féminins de création en animant des ateliers d’écriture pour l’association Six-Cent-Soixante Simones.


[1] ZIELINSKI Agata, « L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin », Études, 2010/12 (Tome 413), p. 631-641. DOI : 10.3917/etu.4136.0631. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-2010-12-page-631.htm

[2] . Ici les propos sont peu sourcés, c’est très dommage la littérature scientifique existe sur la construction de l’identité sexuée des enfants.


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