Prof : face au sentiment d’impuissance, semer des graines


La question de l’impuissance du professeur, c’est aussi celle de la sauvegarde de la santé mentale de toute personne qui débute dans le métier. Enseigner au quotidien dans le contexte actuel, c’est remettre l’ouvrage sur le métier chaque jour et chaque jour se demander si on va tenir la durée.

Accepter les limites de nos capacités

Quand on est doté d’une forte empathie et qu’on prend en compte le milieu social, économique et culturel des élèves, on se retrouve vite face à des tas d’interrogations. J’imagine que c’est vrai pour tous les établissements, mais cela l’est plus encore lorsqu’on travaille dans un collège REP+ où nous sommes confrontés à la fois à des situations terribles et à l’indigence des réponses de notre institution. L’impuissance individuelle ne se fait jamais autant sentir que lorsque nous affrontons les limites et dysfonctionnements du système.

Très vite, mes collègues d’expérience m’ont conseillé de prendre de la distance. Prendre de la distance, c’est accepter qu’on ne puisse pas tous et toutes les sauver paraît-il. Accepter de laisser ces enfants dans des situations dramatiques parfois. Attendre. Accepter, tout accepter ?

Six ans après je ne me résous tout simplement pas à accepter le sentiment d’impuissance face aux difficultés de mes élèves. En tant que professeure principale de 6ème ayant en charge les dossiers ULIS et SEGPA d’enfants ne sachant pas même lire quand ils arrivent dans ma classe, je refuse de croire qu’il n’y a aucune solution. En tant que professeure de 3ème qui s’inquiète chaque année pour les orientations de ses élèves dans une académie où tout le monde n’a pas sa place au lycée, je refuse de croire qu’il n’y a aucune réponse.

En vérité, qu’on le veuille ou non, nous laissons une trace sur ces enfants.

personne derriere les livres
Photo de Pixabay sur Pexels.com

Notre responsabilité

Malgré toutes nos limites nous avons un pouvoir magique, mais c’est aussi une grande responsabilité : quoique nous en pensions, nous avons un impact sur nos élèves. Parfois l’empreinte est légère et s’effacera avec le temps, parfois elle marquera et restera comme une cicatrice. Consciemment ou non, nous leur transmettons des choses.

Quelques soient nos limites, quelques soient nos frustrations, quelques soient nos colères, il ne faut jamais perdre de vue qu’ils restent, envers et contre tout, des enfants. Des timoun[1], comme on dit en Guyane. Nous sommes des chercheurs et des chercheuses et il y a de l’or dans ces gosses.

Et puis quand ça ne fonctionne pas ? Ne pas oublier, non plus, que nous sommes une équipe et que quelqu’un d’autre, peut-être, réussira là où nous avons échoué. Mettre l’ego de côté, toujours. C’est ensemble que nous faisons avancer les élèves, passer le relais et s’appuyer sur le collectif c’est essentiel.

Quand je suis submergée par le nombre incroyable de tâches auquel je fais face, je prends du recul et j’essaye de voir à l’année. J’ai n’ai jamais eu le sentiment de n’avoir vraiment rien apporté à personne. Sur le long terme, j’ai toujours trouvé du sens.

Le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants

Renaud était bien pessimiste… A mon sens le temps leur permet de poursuivre leur route et d’éclore. On ne voit pas toujours le fruit de notre travail, mais il est là. Lorsque je recroise les élèves après le collège, je suis toujours touchée par leurs bonjours plus ou moins timides, heureuse de les voir grandir. J’aimerais qu’ils et elles se voient à travers mes yeux.

Pendant ma première année d’enseignement, une formatrice m’a dit qu’enseigner c’était planter des graines. C’est en cette idée que j’ai décidé de mettre ma foi, c’est la raison pour laquelle je me lève chaque jour pour aller enseigner.

[1] Mot composé de ti (« petit ») et de moun (« personne »).


Exprimez-vous :

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.